Autonomisation

Je suis dans un nouvel univers depuis deux semaines. Trois classes du secondaire réunissant chacune des élèves de 12-13 ans et de 14-16 ans. Situations chaotiques où les neuronnes du cerveau prennent bien du temps à se connecter pendant que les autres muscles du corps ne cherchent même pas à se coordonner. Les stimulus ne semblent pas manquer: la vie de la nouvelle enseignante, un geste perçu à côté, ce qui s'est passé hier, ce qui va venir, tout sauf ce qui est présent: soixante-quinze minutes pour un meilleur avenir... Vers quelle autonomisation faut-il que je milite dans un tel milieu? Quel meilleur environnement leur faut-il? Quelles meilleures conditions de vie y apporter?

J'ouvre grand mes yeux, mes oreilles et mon coeur...

J'ai vu les têtes penchées sur le travail assigné, les mains levées sagement et patiemment pour une explication, mais aussi les yeux détournés, les mains levées obstinément pour satisfaire à un stimulus autre, des bouches incontrôlables. J'ai entendu des provocations, des accusations, des grincements de dent, des éclats de rire insolents. Impossible encore d'établir une communication, le mode dialogual est à établir, travailler...

J'ai vu les yeux de M se mouiller par le refus catégorique et sans scrupule des autres jeunes à se mettre en équipe avec elle. J'ai aussi vu son coeur comme une porte grande ouverte et accueillante devant les passants qui s'y moquent...

J'ai vu D, la torse bombée, les yeux tout scintillants s'amuser à perturber le groupe en faisant semblant d'en vouloir rétablir l'ordre... J'ai aussi vu la jouissance d'un certain jeu de pouvoir à décoder...

J'ai vu O vouloir m'aider à ramener les "cons" à l'ordre. La voix d'un petit bout d'homme m'a fait entendre un appel à l'aide contre une menace à découvrir, menace vécue dans un autre espace mais confirmée hier lors d'une rencontre avec les parents...

J'ai vu les grands yeux de rage de J qui semblent avoir tant de choses à confier. J'ai aussi découvert un dossier chargé d'histoire de coeur à bricoler...

J'ai vu le regard espiègle de P qui n'attend qu'un moment propice pour faire un bon coup. J'ai aussi vu ses travaux toujours inachevés...

J'ai vu l'assurance de A qui est capable de travailler vite et bien. J'ai aussi vu des défis à offrir.

J'ai vu M avec ses longs bras comme des tentacules qui ne peuvent s'empêcher d'atteindre le petit J à côté, ses longues jambes ont de la difficulté à bien rentrer sous son pupitre d'élève. J'ai aussi compris que des difficultés d'apprentissage sont à vaincre...

J'ai vu M qui ne peut arrêter, malgré une semblance de volonté, de bouger et de chercher d'autres regards, d'attirer l'attention autour de lui. J'ai aussi senti le désespoir d'une mère qui se sent avoir les mains liées devant les difficultés que vit son enfant depuis des années.

J'ai surtout vu qu'un processus de socialisation est en train de se mettre en place et qu'il fallait que je sois capable d'y intervenir comme acteur avant qu'il ne m'emprisonne dans ses engrenages.